PORTRAIT D'UNE AUTISTE…
…AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON
(par Myriam Delvenne)
Introduction
Bonjour à toutes et à tous. Je suis autiste adulte. J’ai 53 ans. J’ai été diagnostiquée tardivement, il y a moins d’un an. Je vais vous relater mon parcours en tentant de comprendre pourquoi personne n’a rien vu. C’est moi qui ai frappé à la bonne porte quand cela n’a plus été possible de fonctionner comme tout le monde en faisant semblant.
1967 - 1973 : premières années
Ma naissance a été très difficile pour ma mère. J’étais son premier enfant. L’accouchement fut très long parce que je me présentais en siège et que ma mère était toute fine. La mise au sein n’a pas fonctionné, malgré les nombreuses tentatives. J’étais incapable de comprendre le mécanisme de succion. Il paraît que cela arrive parfois. Lors de la diversification des aliments, j’ai tout de suite refusé tous les végétaux. Mes parents ont déployé des trésors de patience pour me faire manger, mais cela n’a jamais fonctionné. Aucun fruit et aucun légume ne me plaisaient. Pire, cela me dégoûtait tellement de les voir sur la table que je m’en détournais. Leur odeur me donnait la nausée. J’ai donc mangé exclusivement du pain blanc, du chocolat, de la viande et des pâtes.
Bizarreries alimentaires
Ce que je n’aimais pas dans les aliments végétaux, c’étaient d’abord leurs différences. Si on prend deux fraises, elles ne sont pas de la même taille, de la même forme, l’une pouvait être trop mûre et l’autre pas assez. Les lignes de chocolat sont toutes identiques. Quant aux pralines, ne sachant pas ce qui se trouvait dedans, j’étais incapable de les manger, puisqu’elles étaient différentes. Ensuite, il y avait l’odeur, mais aussi le goût. Mes parents m’ont obligée à goûter les aliments qui ne me plaisaient pas, car ils disaient que je refusais, rien qu’en les regardant. C’est ainsi que je connais les goûts des aliments que je n’aime pas et que je sais pourquoi ils ne me plaisent pas. Ce sont leur goût qui m’est intolérable. Enfin, il y a le problème de la consistance. Quand il y a des peaux, des grumeaux, des « tchinis » comme on dit en wallon, cela ne me va pas. C’est ainsi que ma mère passait avec un chinois le jus d’orange et la soupe, que je ne pouvais pas me résoudre à manger du chocolat avec des pépites de noisettes, par exemple. Ces bizarreries alimentaires auraient peut-être dû mettre la puce à l’oreille au pédiatre qui me suivait, mais cela n’a alerté personne. J’ai été cataloguée d’enfant difficile.
Que reste-t-il de mes bizarreries alimentaires aujourd’hui ? Je suis suivie par une nutritionniste. On a réintroduit la soupe, mais je fais un gros effort pour ne pas la passer. Cependant, elle est mixée de telle manière que plus aucun légume ne s’y trouve en morceau. Je ne mange pas de légumes en dehors de la soupe. Pour ce qui est des fruits, j’ai accepté les fraises, les ananas, les nectarines et les clémentines, même si c’est très difficile pour moi d’en manger, vu qu’il y a de la peau. De plus, je mange très rarement l’un ou l’autre de ces fruits, car cela est très compliqué pour moi. Le reste n’a pas changé.
Les choses que je ne mangeais pas auparavant et qui n’étaient pas « diététiques » ont, cependant, un peu plus évolué. Je suis maintenant capable de manger des pizzas, bien qu’il y ait de la sauce tomate dessus, des pâtes à la bolognaise, mais uniquement celles que mon mari me cuisine, du caramel, de la mayonnaise, de la sauce béchamel, des tartes aux œufs, des crèmes glacées et des gâteaux au chocolat. La diversification alimentaire s’est faite plus facilement avec les « mauvais » aliments qu’avec les « bons ».
Premiers apprentissages
Pour en revenir à ma petite enfance, au niveau du développement, j’étais en avance sur tout. À l’âge d’un an, je marchais, je parlais, mais n’avais toujours pas une seule dent. Mon père remarqua très vite ma grande facilité d’apprentissage et me transforma en petit singe savant. Je répétais à toute la famille ce qu’on m’avait appris, comme un enregistreur. Tout le monde était émerveillé de ma très grande précocité.
Bien avant l’école primaire, curieuse de tout, j’ai demandé ce qu’étaient les signes qui se trouvaient sur les cubes avec lesquels je jouais. Il s’agissait des lettres de l’alphabet. Je les ai toutes apprises, excepté quatre lettres (I, J, K et L), car c’était un cube manquant dans le lot. Mon père confectionna un cube en carton avec les lettres manquantes afin que je puisse les apprendre. Ensuite, j’ai demandé pour apprendre à lire. Ma mère s’enquit auprès des institutrices du meilleur livre pour apprendre à lire à un enfant de maternelle. C’est ainsi que j’appris à lire bien avant d’entrer en primaire. J’appris également à calculer avec mon père. J’avais une véritable passion pour les chiffres, mais également pour les lettres. Ainsi, j’avais des lettres préférées et des lettres que je détestais. C’était la même chose pour les chiffres. Je connaissais l’ordre d’une lettre dans l’alphabet et savais décoder quasi instantanément n’importe quel mot écrit en chiffres. On pourrait dire que ce fut un de mes premiers intérêts spécifique.
Dès mes premières années, je savais exactement quel jouet demander pour Saint-Nicolas ou pour mon anniversaire. Alors que je ne savais pas encore atteindre les pédales d’un tricycle de couleur bleue, j’ai fait une crise dans un magasin afin d’obtenir l’objet convoité. Mes parents ont été obligés de céder et j’ai passé des années à utiliser ce tricycle. Je me mettais en haut d’une pente et, sans toucher les pédales, je dévalais la pente. Puis je remontais le tricycle en haut de la pente et je recommençais inlassablement. Je pouvais faire cela pendant des heures sans m’arrêter. Là aussi, la répétition aurait pu alerter mes parents s’ils avaient su ce qu’était l’autisme. Au contraire, ils disaient de moi que j’étais une enfant qui ne s’ennuyait jamais, contrairement à ma petite sœur. Un peu plus âgée, j’ai demandé exclusivement des jouets de garçon : un train électrique, une panoplie de cow-boy, mais également des Legos pour garçon. Il y en avait aussi pour filles, mais cela ne m’intéressait pas.
1973 - 1979 : années de primaire
A l’entrée en première primaire, l’institutrice m’a prise en grippe parce que je ne savais pas rester assise à ma place. Quand j’arrivais à rester sur ma chaise, je balançais mes jambes d’avant en arrière, ce qui avait le don d’énerver mes petites camarades. Elle a donc prié mes parents de me donner des calmants. Le pédiatre a prescrit des gouttes : Mellerettes. C’est un médicament pour traiter la schizophrénie chez l'adulte en cas de réponse insuffisante aux autres antipsychotiques. Une des contre-indications est l’usage chez l’enfant et l’adolescent. J’ai pris ces gouttes durant deux années, car j’ai eu la même institutrice en première et en deuxième année. Quand ma mère oubliait de me donner mes gouttes, elle stressait toute la journée, car elle avait peur que je reçoive un mot dans le journal de classe. Encore une fois, le balancement des jambes n’a pas alerté le pédiatre qui ne devait pas être formé à ce genre de trouble. On disait de moi que j’étais une enfant « spitante », qui ne tenait pas en place. Avec ce médicament, j’étais calme. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque, alors que j’en ai de mes cinq ans. Probablement que ce médicament ne m’a pas aidé à fixer les souvenirs.
Les choses se sont améliorées en troisième année quand ma nouvelle institutrice a appris qu’on me droguait pour que je me tienne tranquille. Nous étions alors en janvier 1976. Elle revenait de congé de maternité. Cette institutrice avait une orthographe un peu approximative. Elle le savait et m’avait demandé de la corriger quand elle faisait une faute au tableau. Cela me valorisait. De plus, elle avait décidé de me mettre toute seule au fond de la classe. Comme cela, si je me levais ou balançais mes jambes, aucune copine n’était dérangée. J’étais enfin intégrée.
Mais dans la cour de récréation, les choses étaient différentes. Tous les enfants jouaient à des jeux que je considérais comme peu intéressants alors que j’avais d’autres centres d’intérêts. J’ai essayé de proposer mes idées à mes copines, mais cela n’a jamais fonctionné. Je me retrouvais obligée de participer à des jeux qui ne me plaisaient pas ou de m’amuser toute seule dans la cour.
À cette époque, j’avais vraiment l’impression d’être une extra-terrestre. Je voyais mes parents comme des étrangers et je croyais dur comme fer que j’avais été adoptée à la naissance. J’attendais avec impatience que mes vrais parents viennent me chercher. Je m’inventais des identités différentes, un passé qui me semblait plus approprié et je demandais à mes parents de m’appeler avec les prénoms que je m’étais choisis. Malheureusement, ils ne le faisaient pas et brisaient mes rêves. C’est cette année-là que je me suis inventé un pseudonyme que j’ai toujours gardé. Je me perçois davantage avec ce nom qu’avec celui de l’État civil. Comme j’écris des nouvelles, des chansons et que je compose, j’ai déposé ce pseudonyme à la SABAM il y a des années. C’est mon identité véritable.
Durant toute mon enfance, j’étais fort bagarreuse. Si une situation ne me plaisait pas, parce que je me sentais exclue, par exemple, l’enfant qui était responsable de cette exclusion passait un sale quart d’heure. J’ai eu beaucoup d’ennuis parce que j’infligeais des blessures assez importantes aux camarades de classe.
Du côté des apprentissages, je n’avais pas grand-chose à faire pour avoir les meilleurs points de toute la classe. Cependant, je n’arrivais pas à former correctement les lettres. J’écrivais, effaçais, réécrivais, barrais, raturais, gommais. Tous mes cahiers étaient cochonnés. Je ressentais très rapidement une crampe au poignet tellement je me crispais sur mon stylo. De plus, j’étais d’une lenteur extrême, non seulement parce que j’étais distraite tout le temps, mais aussi parce que j’étais trop perfectionniste. Ma cousine, qui était dans la même classe que moi, acceptait de donner ses cahiers à ma mère pour que je puisse me remettre en ordre chaque jour. Une auxiliaire scolaire aurait été bien utile. A l’époque, on disait de moi que la moindre mouche qui passait pouvait me déconcentrer. J’avais également des problèmes avec le sens des mots. Je pouvais répéter des expressions sans les comprendre. Cela m’a valu des gros soucis lorsque je disais des phrases que je croyais anodines et qui étaient cinglantes. Je me faisais engueuler, mais je ne comprenais pas pourquoi ce que j’avais dit était grave. On ne m’expliquait pas.
1979 - 1985 : années du secondaire
Le passage à l’école secondaire fut très compliqué. Ma cousine était dans une autre classe que la mienne. Un des professeurs, très impressionné par mes capacités, me prit sous son aile protectrice. Je devins complètement accro à lui, à tel point que je l’ai harcelé durant mes six années passées dans cette école. Je prenais des photos de lui à l’occasion de la fancy-fair. Je me postais dans les couloirs lors de chaque intercours, car je savais qu’il allait passer d’une classe à l’autre. Lors des récréations, je ne quittais jamais un petit classeur bleu dans lequel j’avais collé toutes les photos de ce professeur. J’avais acheté une réplique exacte de sa voiture en miniature et l’avait constamment dans ma poche. Tout le monde était au courant de mes bizarreries. Les élèves me demandaient régulièrement de consulter ce petit classeur et de montrer la voiture miniature. Ensuite, ils s’en allaient en riant de moi.
Durant toute mon enfance, j’ai été un enfant roi. Mes parents s'occupaient peu de ma petite sœur qui, bien qu’elle ait trois ans de moins que moi, grandissait sans avoir besoin d’aide. Ma petite sœur était, en quelque sorte, devenue ma grande sœur. Enfant, je ne m’habillais, ni ne me lavais seule. Je ne savais pas lacer mes chaussures. Ma sœur savait se débrouiller seule pour tout cela bien avant moi. Parfois, elle m’aidait pour certaines choses. C’est elle qui me donnait à manger quand je coinçais sur un aliment ; par exemple, pour manger ma soupe qui ne passait pas bien.
À la fin de la première année, mes parents ont adopté un enfant du bout du monde qui avait sensiblement le même âge que moi. L’attention s’est reportée sur lui. Ce nouveau frère devint l’adolescent roi à partir de son entrée dans la famille. Je ne l’ai pas supporté et j’ai été de plus en plus violente, cassant tout et frappant tous les membres de ma famille. J’étais devenue ingérable. Dès mes quatorze ans, mes parents demandèrent l’avis de mon pédiatre. Il m’envoya faire des tests au Centre Henri Wallon. C’est là qu’on découvrit que j’avais un quotient intellectuel largement supérieur à la normale. Mais ils décrétèrent également que j’avais de graves problèmes psychologiques. Ils proposèrent un suivi à mes parents. Ceux-ci refusèrent.
Petit détour du côté de la psychiatrie
Finalement, c’est encore le pédiatre qui les orienta vers un psychiatre. Celui-ci n’était pas spécialisé dans l’aide aux adolescents. Je voyais arriver des personnes en grande souffrance psychologique qui se lovaient dans un coin du couloir, attendant que le psychiatre daigne les prendre alors qu’ils n’avaient pas rendez-vous. Quand cela arrivait, le psychiatre ne sortait pas de son bureau de peur de les rencontrer. C’est la secrétaire qui disait au suivant qu’il pouvait y aller. Lorsque des personnes lui téléphonaient, il parlait de médications à administrer à ses patients. Je voyais que j’étais tombée dans un monde qui n’était pas le mien et je me demandais ce que je faisais là.
J’y allais chaque mercredi. Il me laissait parler de ce que je voulais, ne semblait pas s’intéresser à ce que je disais, ne notait quasi rien, ne posait pas de question et ne donnait aucun conseil. C’était comme si je parlais à un mur. J’y suis restée presque trois ans, sans voir aucune amélioration.
Un mercredi que le psychiatre avait encore moins été attentif que d’habitude, je lui ai dit qu’il chômait. Il ne s’est pas fâché, mais il m’a dit que je devrais passer un mercredi avant de pouvoir revenir. Pour lui, il s’agissait d’une punition. Pour moi, c’était le signe d’une libération. Je lui ai répondu que je ne reviendrais jamais. Deux mercredis plus tard, mes parents y allèrent à ma place pour recevoir les conclusions. J’ai su très récemment que le psychiatre me trouvait parfaitement normale. Il n’a jamais remarqué aucun problème. Pourtant, je ne lui parlais que de mes intérêts spécifiques. Il est fort probable qu’il n’ait pas eu connaissance du syndrome d’Asperger. Sinon, il aurait fait part de cette conclusion à mes parents.
À partir de la deuxième année, j’ai commencé à travailler de moins en moins bien. Je n’écoutais plus au cours, je prenais des médicaments pour dormir durant la classe. À la maison, je respirais de l’éther pour m’évader de mes problèmes. Mes notes ont baissé de plus en plus. À la fin de la troisième année, j’avais un échec en latin parce que je n’avais plus rien étudié. Il fut décidé de me changer d’option et d’apprendre les sciences afin de pouvoir continuer ma scolarité. Pourtant, à la fin de la quatrième année, j’avais quatre examens à repasser et un travail de vacances à rendre. J’ai raté les cinq matières, mais le conseil de classe, qui connaissait mon quotient intellectuel, a décidé de me laisser passer en cinquième année, avec des conditions. Je devais montrer que je travaillais en rendant des résumés de cours. Je devais également me montrer digne de la confiance que l’école m’avait témoignée.
Cette année-là, j’ai appris à travailler. J’avais souvent de mauvaises notes parce que j’avais beaucoup de retard à rattraper. Mais les professeurs se rendaient disponibles durant le temps de midi pour me donner des cours de rattrapage. Ensuite, je passais un nouveau test. Les professeurs faisaient la moyenne des deux tests et j’obtenais alors suffisamment de points pour réussir. On peut voir que cette école était inclusive sans connaître la nature de mon handicap. Je dois beaucoup à l’équipe de professeurs et à la direction.
Au niveau de mes relations avec les autres, cela ne se passait pas très bien. Les étudiants se moquaient très souvent de moi et m’affublaient de noms plus déplaisants les uns des autres. J’avais une seule amie. C’était ma bouffée d’oxygène. Cette amie était obèse. Je ne voyais pas son poids, mais sa gentillesse. Les autres voyaient son surpoids. Je suppose que c’était cela qui l’avait amenée vers moi.
Début de sociabilisation
Le jour de mes seize ans, j’ai eu droit à des lentilles de contact et j’ai pu me faire percer les oreilles. Tout d’un coup, je ressemblais enfin à une jeune fille. Durant ma cinquième année, ma meilleure amie me demanda avec insistance pour que je vienne à une soirée qu’elle organisait avec sa classe afin de financer un voyage scolaire. Je ne voulais pas venir, mais elle m’y a obligée.
Quand je suis arrivée, un jeune homme m’a trouvée à son goût et a commencé à me draguer. Je ne voulais pas car il ne m’intéressait pas du tout. Je n’imaginais l'amour qu’avec des personnes qui avaient au moins treize ans de plus que moi. Or, ce jeune homme n’avait que cinq ans de plus que moi. Cependant, j’ai fini par craquer et je me suis laissé embrasser. Lorsque je suis revenue à l’école le lundi suivant, j’étais devenue populaire parce qu’un garçon s’était intéressé à moi.
Trois jours plus tard, il était prévu que ce jeune homme vienne me chercher à l’école, alors que tous les autres étudiants avaient deux heures de fourche, puis devaient revenir en bus. J’ai eu le malheur de le dire. La dernière heure était le cours de gymnastique. Quelle ne fut pas ma surprise de ne plus retrouver mes vêtements en sortant du cours ! Tous les élèves me les avaient cachés. Une fois tout le monde rhabillé, on me rendit mes vêtements. Mais ils m’avaient précédée. Quand j’arrivai à la voiture de mon copain, tous les étudiants étaient au balcon pour regarder qui était ce jeune homme. Comme celui-ci avait pris la voiture de son père, une grosse américaine, tous mes copains de classe furent impressionnés.
Depuis ce jour-là, j’eus un nouveau statut. On accepta de me parler. Un jour que nous parlions, j’appris que je leur faisais peur, parce qu’ils ne savaient pas ce que je pouvais leur faire. Ma façon de fonctionner ne leur était pas familière. L’inconnu et la différence font toujours peur. En parlant, nous avons appris à nous connaître. Cela m’a beaucoup aidée.
En dernière année, nous sommes tous partis en voyage de fin d’études, exactement la semaine où il y avait un an que j’étais avec mon copain. Le jour de cet anniversaire, tous les étudiants ont chanté pour moi dans le car. C’était très émouvant. Je n’étais pas intégrée parfaitement, mais il y avait tellement d’amélioration dans mes relations avec les autres que je m’en satisfaisais. Cette dernière année fut la première que je réussis sans examen de repêchage.
Durant cette dernière année, je me mis à la recherche d’une école supérieure. J’ai visité des universités. En rentrant à la maison, j’ai déclaré à mes parents que jamais je ne pourrais assister à un cours dans un amphithéâtre. L’université n’était pas faite pour moi. Je pensais m’orienter vers des études d’ingénieur industriel ou devenir informaticienne, mais aucune des deux écoles ne me plut.
1985 - 1989 : années du supérieur
À la fin du mois de juin, je reçus un dépliant pour une école qui proposait un graduat (bac+3). Je visitai l’école et m’y trouvai en sécurité. Il y avait peu de classes. Chacune d’entre elles n’était pas plus grande que les classes de mon école secondaire. Enfin, elle se trouvait juste au-dessus de la bibliothèque que je fréquentais toutes les semaines. En effet, nous n’étions qu’en 1985. Internet n’existait pas encore. J’apprenais énormément grâce aux romans, aux dictionnaires et encyclopédies. Me retrouver si proche des livres que je chérissais était ce qui pouvait me rendre la plus heureuse.
Malheureusement, cela ne se passa pas du tout comme je l’imaginais. Les étudiants n’étaient pas bienveillants. Je fus appelée « la chose » en référence au film « The Thing » de 1982. On me caricatura sur le tableau, … tout était à recommencer. N’ayant pas d’aide de la part des autres étudiants, je ne pouvais pas mettre mes cours en ordre quand je ne parvenais pas à tout noter. J’avais toujours autant de problèmes avec l’écrit. Au niveau financier, les ordinateurs n’étaient pas encore accessibles et il n’existait pas d’ordinateur portable qui, pourtant, m’aurait bien aidé.
À la fin de l’année, je me suis effondrée après le premier jour d’examen. Mon médecin remplit un certificat médical pour que je puisse repasser tous les examens à la fin du mois d’août. Je partis vivre chez mon copain durant trois mois. Là, sa mère me poussa pour que je recommence mon année. Elle me gava de vitamines et fut d’une grande bienveillance. Durant tout mon parcours, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui, sans connaître mon trouble autistique, m’ont aidée à grandir, à prendre confiance en moi.
En septembre, j’étais prête à refaire ma première année. Quelle ne fut pas ma surprise quand je découvris que mon harceleur de l’année précédente avait également raté et était de nouveau dans ma classe. En effet, on regroupait les redoublants. J’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée le trouver. Je lui ai dit qu’il n’était plus question qu’il se moque de moi. Il a accepté à une condition : que je ne reste plus en classe après le quart d’heure académique et que je brosse avec les autres élèves qui allaient boire au café. J’ai répondu que je ne buvais jamais d’alcool. Il m'a dit que je pouvais boire autre chose, mais qu’il ne fallait pas que le professeur qui était trop en retard ne donne cours qu’à moi. Si tous les élèves étaient solidaires et partaient ensemble, le professeur ne pourrait pas donner cours. J’ai accepté et j’ai été intégrée dans le groupe des redoublants. Depuis ce jour-là, je n’eus plus beaucoup de problèmes durant mes études. Cet harceleur est devenu mon meilleur ami. Je n’ai plus jamais eu aucun examen de repêchage et j’ai obtenu mon diplôme avec beaucoup de facilités.
Apprentissage de l'autonomie
Dès que j’ai eu 20 ans, j’ai souhaité vivre seule. Mes parents ne voulaient pas que je prenne un kot, car ils pensaient que je ne serais pas capable de me débrouiller seule. En effet, je ne savais pas cuisiner. Mais surtout, je ne savais pas me lever le matin. Ma mère devait me tirer du lit, me mettre mon sac sur l’épaule et une tartine dans la main. J’étais complètement assistée. Pourtant, ils ont fini par accepter. En effet, j’ai trouvé un kot chez des personnes âgées qui pouvaient garder un œil sur moi. J’y ai passé deux magnifiques années. La vie chez mes parents étant particulièrement conflictuelle, connaître un autre environnement m’a fait beaucoup de bien. J’ai appris à cuisiner, à faire les courses, à passer l’aspirateur, à prendre le bus, mais surtout, à me lever suffisamment tôt pour ne pas rater le début des cours.
Pendant mes années dans le supérieur, je me suis posée des questions sur mon couple. Mon copain était gentil, mais nous n’avions pas du tout les mêmes goûts. Nous étions fort différents. Parallèlement à cela, ma tante me proposa une psychologue, parce que je me posais beaucoup de questions. Je pensais que j’étais folle ou pas normale. Cette psychologue interagissait avec moi, répondait à mes interrogations, à mes doutes. C’était vraiment très différent du psychiatre. Un jour, cette psychologue me dit que j’avais une personnalité très riche et que je n’étais pas folle, que j’étais complètement normale. Elle me dit également que, si je pensais que mon copain n’était pas le bon, je finirais par trouver celui qui me correspondait. Cette psychologue m’a donné confiance en moi. J’y suis allée plusieurs années et cela m’a fait énormément de bien.
Vie professionnelle et vie de famille
Après ma scolarité, j’ai suivi une formation de six mois en attendant de trouver du travail. Avant la fin de cette formation, j’avais décroché un premier emploi. Ensuite, les emplois se sont enchaînés. J’ai passé beaucoup d’examens au SPR, qui est devenu le SELOR ensuite. J’avais de très grandes facilités pour les réussir parce qu’il s’agissait de tests logiques et mathématiques. J’ai même réussi un examen de contrôleur aérien ! Je n’ai pas pu être engagée parce que j’étais trop myope. Je n’ai jamais été licenciée. C’est toujours moi qui ai quitté un emploi pour un autre plus intéressant. Mon parcours professionnel n’a jamais été compliqué. Il semble que, sans connaître mes spécificités, chaque supérieur hiérarchique a senti quelles tâches il pouvait me confier. Personne d’autre n’aurait aimé faire ce type de tâches parce que cela nécessitait trop de précision et trop d’auto-apprentissage. Je me suis épanouie, découvrant que je pouvais ingurgiter n’importe quelle matière et l’apprendre à d’autres.
Dans ma vie personnelle, je me suis mariée avec le garçon qui me harcelait en première année du supérieur et qui était devenu mon meilleur ami. Nous avons eu trois enfants. La vie de famille a été très compliquée. Mon mari et mes enfants m’ont longtemps appelé « l’erreur ». Ils me faisaient comprendre, avec ce mot, qu’ils avaient tous une manière de fonctionner plus ou moins similaire, alors que moi pas. J’étais donc une erreur. Depuis moins d’un an, j’ai découvert ce qui faisait ma différence. Je l’explique tous les jours à mes proches. Ils ont du mal à le concevoir, à le comprendre et, surtout, à l’accepter. Depuis mon diagnostic, je me sens beaucoup plus différente qu’auparavant. Je revendique mes comportements bizarres. J’ai maintenant le droit d’être moi-même.
Au niveau professionnel aussi, cela a modifié la donne. Je venais juste de changer de hiérarchie au moment où j’ai appris que j’étais autiste. Cela s’est mal passé avec ma directrice. Actuellement, je suis en attente d’une réorientation professionnelle, mais pour le même employeur. Tant UNIA, pour l’égalité des chances, que le syndicat, deux organismes qui me conseillent et me défendent, ne perçoivent pas mes difficultés. C’est très compliqué de leur faire comprendre comment je fonctionne et ce dont j’ai besoin.
Conclusion
Être autiste est
très difficile à vivre au quotidien. Le plus compliqué pour moi a été
d’apprendre que c’était un handicap. Je sais que cela est également une force.
Il me faudra du temps pour accepter ce grand chamboulement survenu dans ma vie
à cause de la reconnaissance de mon TSA. Depuis que j’ai reçu le diagnostic, je
me consacre à d’autres personnes autistes. Je suis un peu comme Chiron, le guérisseur
blessé. Ayant vécu de grandes difficultés que j’ai été capable de traverser,
ayant pu m’en sortir, je suis capable de comprendre les personnes qui sont
toujours coincées dans leurs problèmes de sociabilisation. C’est ainsi
qu’actuellement, j’aide un autiste moyen et un Asperger. J’obtiens d’assez bons
résultats. Cela est très difficile pour moi, car je me replonge dans mon passé
douloureux. Cependant, je pense que je dois le faire car, si je n’avais pas
rencontré des personnes bienveillantes et ouvertes sur ma route, je ne serais
peut-être plus là pour raconter cette histoire.
J'ai aussi 53 ans avec un parcours plus chaotique que vous ce qui fait qu'aujourd'hui j'ai des problèmes de santé physique et psychique. Pendant trop longtemps (j'avais une vision erronée de l'autisme ne connaissant que le sévère), je me suis mise en souffrance permanente (en mode survie, comme je l'appelle) afin de paraitre normale et espérant être intégrée dans une société que j'ai encore du mal à comprendre. Je n'ai pas eu la chance de croiser des personnes bienveillantes et/ou ouvertes dans mon chemin de vie ne serait-ce que pour me soutenir. Aujourd'hui encore, je suis en errance de diagnostique suite à un entretien bâclé dans un CRA (centre de diagnostique en France). Votre post fait du bien, car il donne de l'espoir. Mais combien de personnes autistes mal ou pas accompagnées ? Ce que vous faites comme pair-aidante est génial.
RépondreSupprimercourage! un usager de santé mentale ( qui finira honoris causa le jour de ma mort , c'est ceke dit ma femme quand je passe mon temps à m'informer et à lire des écrits de maitre de conférence et assiste à des conférence) bon maintenant ai connu l'exclusion a lors que je suis compliant de nature , je ne sais ce qui m'a pris maisj'ai eté violent et alors exclu bien que c'est une position mentale devenue intenable qui s'est transformé en comportement (donc plus par des paroles) et à cejour tjs pas réintégré ou des excuses...bon je suis pê unpeu trop sûr de mon bon droit lol .....
SupprimerMerci bien pour votre commentaire, Krystel.
RépondreSupprimerje me retrouve bcp aussi.(dans le debut surtout)pourtant jai un parcours très chaotique (avec hospi psy, marginalité...) mais en effet en survie aussi durant toutes ces années.(je lai écrit dans mon livre dailleurs récemment.("maman est autiste et elle déchire", (pseudo gaouenn.)) et en ecrivant jai bcp revécu et ça a été très dur.je pensais ne jamais le terminer.et aujourd'hui je réalise que je ne peux plus rien faire dautre que ce qui me met en "réussite" (grand mot ; mes enfants, la musique ou lecriture...).jai oublié le reste (impossible physiologiquement et psychologiquement.) suite a de trop nombreux echecs avant diag.mon diag ma egalement permis de me pardonner et de m accepter.(et daccepter le mot "handicap" car il nest pas facile. mais rien nest forcement plus simple après.....)merci pour ce témoignage.(ils sont tous precieux)
RépondreSupprimercourage et ayez tjs confiance en vous ou en la vie -- chaque jour, est un autre jour --- ou tout est possible ,il suffit d'essayer chaquejour et de reprendre ou de prendre le lendemain ( pas de notion de passé , juste à chaque fois , l'instant, le present)
SupprimerMerci, Jean, pour tes encouragements.
SupprimerMerci bien pour votre commentaire, Sandrine.
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